La
douleur chez l'enfant a longtemps été sous-évaluée, voire
ignorée, par le corps médical.
Or non seulement le nourrisson possède les capacités
neurophysiologiques pour acheminer les messages douloureux au
cerveau, mais ses réactions à une stimulation douloureuse sont
plus intenses que celles de l'adulte ! De plus, les expériences
douloureuses répétées peuvent laisser une trace durable chez
l'enfant.
Enfants
et adultes sont inégaux devant le traitement de la douleur
La
circoncision est l'opération chirurgicale la plus pratiquée aux
Etats-Unis. Elle concerne 1,2 million de nouveau-nés chaque année
(de 60 % à 80 % des garçons selon les régions). La majorité de
ces enfants ne bénéficie d'aucun moyen antalgique ou
anesthésique. En Europe, la même intervention pratiquée plus
tardivement est en revanche reconnue comme particulièrement
douloureuse ; réalisée en chirurgie ambulatoire elle est, avec
l'ablation des amygdales, l'opération dont la douleur reste la plus
difficile à soulager au domicile. Cette situation est paradoxale au
regard des standards éthiques exigés pour l'expérimentation
animale. En effet, la même intervention, provoquant une stimulation
nociceptive* majeure au tout début de la vie, ne pourrait jamais
être pratiquée sur un animal non anesthésié, ni même envisagée
dans un laboratoire de recherche !
Comme
l'ont montré de nombreuses études réalisées depuis vingt ans,
les enfants sont victimes d'une inégalité fondamentale concernant
le traitement de la douleur. La France n'est pas épargnée par
cette disparité. A la demande de la Direction générale de la
santé, plusieurs collègues et moi-même avions en effet dressé un
état des lieux du fonctionnement des services hospitaliers, dans le
cadre de « l'Enquête nationale sur la prise en charge de la
douleur de l'enfant ». Les résultats furent présentés en
décembre 1998 à Paris, à l'Unesco, lors de la sixième journée
« La douleur de l'enfant. Quelles réponses ? ». Les pratiques
réelles de quatre-vingt-douze services hospitaliers préalablement
tirés au sort avaient été analysées et vérifiées par la visite
d'experts in situ .
Dans
le cadre de cette étude, l'utilisation régulière de grilles
d'observation comportementale, indispensable pour évaluer la
douleur des enfants de moins de 6 ans, n'a été constatée que dans
16 % des services. Seulement 50 % des services de chirurgie
utilisent la morphine. La douleur et la détresse provoquées par
les endoscopies restent encore insuffisamment contrôlées : la
sédation profonde ou l'anesthésie générale, majoritairement
employées chez l'adulte, ne sont utilisées que dans 33 % à 42 %
des centres concernés. Un service de médecine sur cinq dispose
d'un protocole antalgique pour la réalisation de ponctions
lombaires.
L'enquête
témoignait néanmoins de changements positifs et profonds dans un
nombre croissant de services hospitaliers. Ces changements récents
restent fragiles et labiles. Ils sont souvent liés à une personne,
médecin ou infirmière (surveillante), qui mobilise l'équipe pour
que les bonnes pratiques se mettent en place. Le meilleur et le pire
peuvent souvent se côtoyer, parfois sur le même étage ou au sein
du même service. Pour les équipes hospitalières, la première
difficulté consiste à reconnaître la réalité de la douleur,
comme en témoignent les affirmations suivantes recueillies lors de
l'enquête nationale : « D ans le cas de perfusion ou
prélèvement, la prise en charge psychologique suffit » ;
«Une
ponction lombaire fait moins mal qu'une prise de sang» ; «Quand
l'enfant sort du service de chirurgie, il n'a plus mal, donc ce
n'est pas la peine de lui prescrire des antalgiques » ;
« L 'enfant est dur à la douleur, la présence des parents
suffit » ; « M oi, je me fais faire les
prises de sang sans crème anesthésiante et je sais que ça ne fait
pas mal » . Pour expliquer la détresse des enfants, on
inverse les responsabilités : « Ce n'est pas de la douleur
c'est de la peur ... » De fait, en invoquant uniquement
la peur, l'argument est doublement rassurant pour les soignants :
ils font l'économie de leur culpabilité - l'enfant est seul
responsable de son comportement - et évitent une réflexion sur la
douleur et sa prise en charge. Parfois la disqualification est plus
directe : « C 'est un caprice, de la comédie » .
Les enfants peuvent présenter d'authentiques crises de migraine (10
% des enfants d'âge scolaire) ; malgré un tableau clinique très
proche de celui de l'adulte, beaucoup d'enfants ne sont pas pris au
sérieux. Le diagnostic de «maladie psychologique»
est régulièrement évoqué sous prétexte que le stress, les
émotions, une contrariété, constituent de véritables facteurs
déclenchant des crises migraineuses.
Grilles
d'évaluation.
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Au-delà
de ces attitudes quelque peu caricaturales, la difficulté à
évaluer la douleur est bien réelle. Les réactions sont tellement
diverses qu'elles sont déstabilisantes pour l'entourage. Tel enfant
poussera des cris alarmants pour une simple bosse, alors qu'un autre
continuera sa course de vélo, les genoux en sang. Tel enfant
supportera sans se plaindre des points de suture sans analgésie
alors qu'un autre réclamera beaucoup d'attention pour un
prélèvement sanguin. Et, en ce qui concerne les enfants ne
maîtrisant pas encore le langage, le défi est encore plus
difficile à relever. Seul leur comportement transmet leur
expérience douloureuse. Annie Gauvain Piquard et ses collègues de
l'institut Gustave-Roussy ont mis au point, en 1983, une des
premières grilles d'évaluation comportementale pour les enfants
porteurs de cancer. En 1985, Patrick MacGrath, à l'hôpital
canadien de l'Eastern Ontario, a publié une grille destinée à
l'enfant opéré. Par la suite, sont apparues de nombreuses autres
grilles d'observation comportementale pour la douleur aiguë chez le
nouveau-né et le nourrisson. La plupart reprennent et associent la
cotation régulière des mêmes types de critères : cris, pleurs,
tonus moteur, mimiques faciales, variations de la pression
artérielle, de la fréquence cardiaque, ... (voir l'encadré : «
Evaluer la douleur chez l'enfant »).
Si
la douleur est parfois difficile à reconnaître, force est
d'admettre qu'elle fut aussi longtemps niée. Cette négation s'est
appuyée sur l'idée, dominante au sein du corps médical, que le
jeune enfant était incapable de percevoir la douleur. On a ainsi
longtemps prétendu : « L es mouvements et les cris observables
lors de stimulations douloureuses témoignent uniquement de
phénomènes réflexes . » Ceux-ci n'atteindraient pas
le cortex cérébral. Les arguments scientifiques cautionnant
l'absence de prise en charge de la douleur s'appuyaient sur le
développement incomplet du système nerveux du nouveau-né. Ils ont
été réfutés les uns après les autres. Une de ces idées reçues
s'appuyait sur le fait qu'à la naissance la plupart des fibres
nerveuses ne possèdent pas encore l'enveloppe de myéline qui
favorise et accélère la propagation du signal le long des fibres
nerveuses. En conséquence, « le nourrisson ne pouvait pas
ressentir la douleur » . Pourtant, les fibres les plus
spécialisées pour la douleur, dites « fibres C » ne sont jamais
myélinisées, même chez l'adulte !
Système
nerveux.
Le
travail le plus retentissant fut probablement l'oeuvre de
l'anesthésiste pédiatrique K.J.S. Anand. Celui-ci mit en évidence
en 1987, dans la plus prestigieuse des revues médicales, le New
England Journal of Medicine , que le système nerveux du
nouveau-né et du prématuré peut véhiculer les messages
nociceptifs de la périphérie jusqu'au niveau cortical(2).
Sa
démonstration met en oeuvre un ensemble d'arguments : anatomiques
(les principales structures sont en place), neurochimiques (les
molécules médiatrices de la douleur sont présentes),
physiologiques (des effets hémodynamiques* et respiratoires sont
observables après stimulation nociceptive), métaboliques et
hormonaux (la réponse au stress est parfaitement identifiée,
notamment lors de chirurgie sans anesthésie). Au niveau
comportemental simple, des réponses motrices concernant
l'expression faciale, notamment les pleurs, peuvent constituer des
éléments spécifiques de l'expression de la stimulation
nociceptive. Quant aux troubles complexes et plus durables du
comportement (troubles du sommeil, irritabilité...), Anand souligne
qu'ils sont régulièrement observés chez les enfants circoncis
sans anesthésie. Enfin, il a recours à des arguments cognitifs :
la mémorisation des événements douloureux par le nouveau-né peut
perturber les interactions entre l'enfant et son environnement bien
au-delà de l'expérience nociceptive.
Hypersensibilité.
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Des
analyses plus détaillées ont montré que les premières
terminaisons de la sensibilité périphérique apparaissent dans la
région buccale dès la huitième semaine de la vie intra-utérine ;
l'ensemble des téguments est couvert à la vingtième semaine,
tandis qu'à la naissance la densité des récepteurs cutanés est
similaire à celle de l'adulte. Les connexions médullaires
(c'est-à-dire à la moelle épinière), qui véhiculent
l'information de la peau vers le cerveau, se forment entre la
sixième et la vingtième semaine. Très tôt l'information
nociceptive peut donc parvenir jusqu'au cerveau.
En
fait, le nouveau-né humain, loin d'être protégé de la douleur,
passe au contraire par une période d'« hypersensibilité » ! En
effet, on sait aujourd'hui qu'il existe chez l'adulte des
mécanismes inhibiteurs, qui « descendent » du cerveau jusqu'à la
moelle et permettent de limiter ou de filtrer en partie la douleur.
Or, ces mécanismes sont immatures à la naissance. Ainsi, la
substance P, qui participe à la transmission de la douleur au
niveau de la moelle, apparaît dès la douzième semaine de la vie
intra-utérine, mais les endorphines, impliquées dans la
régulation et l'inhibition médullaire, ne sont fonctionnelles que
trois mois au moins après la naissance. Cette idée a été
corroborée par des enregistrements de l'activité cérébrale.
L'imagerie fonctionnelle par tomographie par émission de positons
montre ainsi que les régions du cortex et du thalamus impliquées
dans la douleur possèdent une activité métabolique plus intense
à la naissance que quelques mois plus tard(3). Ce qui suggère une
probable expérience accentuée de la douleur chez le nouveau-né...
Cette
hypersensibilité a été confirmée par les travaux de Maria
Fitzgerald, spécialiste londonienne du développement
neuro-anatomique du nouveau-né et du prématuré. La chercheuse
travaille - entre autres - sur un modèle de stimulations
mécaniques cutanées, le réflexe nociceptif de flexion. L'étude
de ce réflexe consiste à appliquer une légère pression sur la
plante du pied à l'aide de fils de Nylon de calibre croissant, ce
qui permet de quantifier la stimulation mécanique et de repérer le
seuil de douleur chez l'adulte. Plus le nourrisson est jeune, plus
bas est le seuil du réflexe de retrait(4). Ainsi, parmi six groupes
de prématurés âgés de 27,5 semaines à 42,5 semaines (âge post-
conceptionnel), ceux âgés de 29 semaines présentent un retrait
après application d'une pression de 0,237 g, alors que ceux âgés
de 41 semaines ne réagissent qu'à une stimulation de 0,980 g.
Long
terme.
Haut
Non
seulement les effets de la douleur peuvent être observés chez le
nourrisson, mais des conséquences, tant à court terme qu'à long
terme, peuvent être identifiées. Il faut à nouveau ici évoquer
les travaux de K.J.S. Anand. Celui-ci publia, également en 1987,
dans le Lancet, une étude en double aveugle où certains
enfants prématurés ne bénéficiaient pas de vraie anesthésie
lors d'une opération chirurgicale intrathoracique(5). Un premier
groupe qui n'avait reçu qu'un curare (provoquant une paralysie des
muscles) et une inhalation d'oxygène et de protoxyde d'azote (gaz
de trop faible puissance antalgique dans cette situation) avait
développé une réaction majeure de stress postopératoire. En
revanche, les complications furent significativement plus rares dans
le groupe ayant reçu un anesthésique.
A
l'époque, il était courant de ne pas anesthésier réellement les
enfants prématurés, pour éviter les complications sévères
liées aux produits anesthésiques. Cette pratique négligeant le
traitement de la douleur était retrouvée dans 77 % des
publications des années 1970-1980. L'étude de Anand permit de
mettre en lumière les bénéfices quantifiables d'une anesthésie
réelle. La lutte contre la douleur, loin d'amener des
complications, en réduisait au contraire la survenue !
Livré
à lui-même, le processus de la douleur peut s'auto-amplifier. Une
première sensation douloureuse accroît l'intensité des
stimulations ultérieures : c'est l'hyperalgésie. Ainsi, chez des
prématurés âgés de 26 à 32 semaines subissant des piqûres
toujours sur le même talon pour prélever du sang, les seuils du
réflexe de flexion sont significativement plus bas du côté où
ont été effectués les prélèvements(6).
Les
conséquences tardives sont maintenant bien identifiées. Ann
Taddio, pédiatre à Toronto a évalué chez 87 nourrissons de 4 à
6 mois la douleur lors de la première vaccination. Les enfants
étaient répartis en trois groupes, le premier ayant été
circoncis sans anesthésie, le second l'ayant été avec une crème
contenant un anesthésique local, le dernier n'ayant pas été
circoncis(7). Les « indicateurs » de la douleur éprouvée
du premier groupe (sans anesthésie) sont significativement plus
hauts que ceux du troisième, ceux du second étant situés entre
les deux. Cette étude suggère l'existence d'une forme de «
mémoire » de la douleur. Autrement dit, le système nerveux
central du nouveau-né exposé à une stimulation nociceptive
majeure est capable plusieurs mois après l'événement douloureux
d'en garder et d'en manifester la trace.
Cette
empreinte peut s'observer quotidiennement chez tout nouveau-né
subissant des prélèvements sanguins répétés au talon. L'enfant
anticipe l'événement douloureux par ses comportements (tentative
de retrait du pied, pleurs) dès la désinfection cutanée, et donc
bien avant toute stimulation nociceptive. Autre exemple, les
nourrissons atteints de bronchiolite (une maladie virale
respiratoire) doivent subir quotidiennement une kinésithérapie
respiratoire pour favoriser le drainage bronchique. Beaucoup
expriment et manifestent une détresse notable lors des séances.
Les mères rapportent régulièrement que des nourrissons parfois
très jeunes se mettent à pleurer et à s'agiter dès le coup de
sonnette annonçant la venue du kinésithérapeute.
Lois
défaillantes.
Quand
bien même un médecin décidait de traiter une douleur, il était
confronté à une absence préoccupante de médicaments adaptés et,
en France, à une législation défaillante. En effet, un grand
nombre de produits n'ont été développés et testés que chez
l'adulte, le marché pédiatrique étant trop limité et le coût
des études cliniques chez l'enfant trop important. Selon Françoise
Brion, pharmacienne chef de l'hôpital Robert-Debré à Paris, 60 %
des médicaments utilisés en pédiatrie n'ont pas d'autorisation de
mise sur le marché (AMM)(8). Les pédiatres sont donc
régulièrement obligés de transgresser les recommandations
officielles concernant les limites d'âge inférieur d'utilisation
des médicaments. En se passant de l'aval des autorités sanitaires,
le médecin engage sa responsabilité (les pharmaciens peuvent
refuser de délivrer le médicament). Il est donc compréhensible
qu'un certain nombre hésitent à le faire.
Heureusement,
la situation commence à changer. Depuis 1997, les médecins ont le
droit de prescrire de la morphine aux enfants de moins de 30 mois
et, en octobre 1998, la codéine a obtenu une AMM chez l'enfant de
moins de 15 ans (la majorité des autres pays européens et
anglo-saxons l'utilisaient depuis longtemps).
Morphinophobie.
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L'Organisation
mondiale de la santé a classé les médicaments de la douleur selon
trois niveaux de puissance croissante. Le palier 1 (les antalgiques
périphériques) est représenté par le paracétamol, l'aspirine,
les anti-inflammatoires non stéroïdiens ; ces produits possèdent
également une action sur la fièvre. Le palier 2 (les morphiniques
faibles) est représenté par la codéine, la nalbuphine, le
dextropropoxyphène, le tramadol : seuls les deux premiers sont
utilisables chez l'enfant, les deux autres ne le sont pas faute
d'études spécifiques. Le palier 3 (les morphiniques puissants)
comporte essentiellement la morphine, ainsi que ses dérivés
(fentanyl hydromorphone). L'intensité de la douleur après
amygdalectomie, intervention chirurgicale réputée banale chez
l'enfant, est l'exemple parfait de l'indication d'une prescription
de morphine par voie veineuse dans les 24 premières heures
postopératoires. La morphine ne présente aucune contre-indication
liée à l'âge et son métabolisme est maintenant bien connu dans
toutes les tranches d'âge : dès 3 mois, les données
pharmacologiques sont superposables à celles du grand enfant et de
l'adulte. Cependant, la culture médicale en pédiatrie a longtemps
transmis un message qui se résume à ceci : « O n ne prescrit
jamais de morphinique à un enfant en raison des risques majeurs
encourus (toxicomanie et arrêt respiratoire). » La «
morphinophobie » rencontrée chez l'adulte s'exprime de manière
encore plus intense chez l'enfant, et la crainte d'induire une
toxicomanie limite beaucoup les prescriptions. Pourtant, le suivi de
plus de quarante mille patients ayant bénéficié d'opiacés à des
fins antalgiques a bien montré que le risque d'induire une
toxicomanie est inexistant(9). L'accès libre aux morphiniques
n'induit pas non plus de surconsommation. Nous le constatons
quotidiennement en confiant aux adolescents des pompes à morphine
permettant de s'auto-administrer cet antalgique selon leurs besoins.
Leur consommation journalière de morphine diminue parallèlement à
la baisse des besoins antalgiques. L'exposition à un opiacé chez
un patient douloureux n'induit pas de toxicomanie. Quant au risque
respiratoire, une surveillance clinique simple mais régulière
permet de le prévenir.
Pour les
douleurs modérées (celles provoquées par les soins et les gestes
diagnostiques), notre équipe a réintroduit à la fin des années
1980, en France, le MEOPA (Mélange équimolaire d'oxygène et de
protoxyde d'azote) : il est largement utilisé depuis 1961 en
Angleterre (sous le nom d'entonoxÆ) pour diminuer la douleur de
l'accouchement, soulager les blessés de la route et réaliser des
actes douloureux dans les services d'urgence. Soulignons aussi
qu'aux Etats-Unis, l'inhalation de protoxyde d'azote et d'oxygène
est par exemple disponible dans 75 % des cabinets dentaires. Ce
mélange gazeux antalgique et euphorisant (c'est le « gaz hilarant
») permet, malgré une puissance faible, de réaliser facilement et
spectaculairement de petits actes douloureux, telles diverses
ponctions, points de suture... S'il a représenté une véritable
révolution pour les services d'hémato-oncologie qui réalisent
régulièrement des ponctions lombaires et prélèvements de moelle
chez les enfants(10), notre étude épidémiologique a montré que
le MEOPA n'était encore utilisé que dans 14 % des services de
médecine pédiatrique... L'autre grande amélioration récente
concerne la disponibilité d'une crème anesthésiante qui,
préalablement appliquée sur la peau, induit une anesthésie
cutanée complète sur une épaisseur de 3 à 5 mm, y compris chez
les nouveau-nés.
Vocabulaire
adapté.
Haut
Enfin,
il serait illusoire d'imaginer qu'une prise en charge
médicamenteuse suffise à contrôler l'ensemble des composantes de
la douleur. Un enfant inquiet ou stressé aura une perception
douloureuse largement augmentée. Informer précisément l'enfant en
utilisant un vocabulaire adapté à son âge et en restant toujours
au plus près de la vérité demeure essentiel. Des livrets
spécifiques expliquant aux enfants et à leurs parents les
piqûres, l'environnement de l'intervention chirurgicale, la douleur
sont maintenant disponibles . Des procédés simples comme la
succion et l'administration de solution sucrée peuvent avoir un
effet apaisant : dans une étude sur cent cinquante nouveau-nés,
ceux qui ont reçu 2 millilitres d'une solution de sucrose ont
présenté une diminution significative (comparativement à ceux
ayant reçu un placebo) des scores de douleur lors d'un
prélèvement sanguin(11).
Cette
nouvelle représentation de la douleur s'oppose à la traditionnelle
valorisation culturelle qu'on retrouve dans l'Ancien Testament : «
Qui aime son fils lui prodigue le fouet » ( l'Ecclésiaste,
30, 1). Pendant longtemps, les vertus pédagogiques de la douleur
infligée lors des châtiments corporels ont été recommandées et
codifiées par l'institution scolaire(12). La douleur devait
permettre à l'enfant de se forger le caractère pour mieux l'aider
à affronter le « buisson d'épines » de la vie. Le
fouet, la férule, le martinet, les coups de ceinture ont longtemps
représenté des outils éducatifs essentiels dans nos sociétés.
N'oublions pas qu'à l'échelle de la planète, la douleur infligée
aux enfants demeure la méthode éducative la plus répandue.
Certes, il existe des douleurs utiles à l'enfant. Les maux
quotidiens (bosses, coups, petites brûlures...) lui sont
nécessaires pour apprendre et intégrer les limites de son corps et
de son environnement, ainsi que pour structurer son schéma
corporel. En revanche, les douleurs de la maladie, celles
provoquées par une opération ou une ponction lombaire n'ont jamais
été une étape nécessaire vers la maturité !
La
compréhension fine de la douleur demande beaucoup d'efforts au
clinicien, qui reste souvent déstabilisé par ses constatations
quotidiennes : la douleur peut lui apparaître comme un phénomène
aléatoire, avec une très grande variabilité interindividuelle,
difficilement reproductible ; la présence permanente de l'effet
placebo dans la démarche thérapeutique renforce son désarroi. La
nature protéiforme, immatérielle, purement subjective, dépourvue
de marqueur biologique, échappant à toute imagerie
conventionnelle, accentue encore ce sentiment d'insécurité. Des
progrès considérables ont été réalisés ces dix dernières
années en matière de compréhension et de prise en charge de la
douleur de l'enfant. Les pouvoirs publics ont également apporté
leur contribution : depuis 1995 la loi française demande aux
établissements de soin la mise en place de moyens propres à la
prise en charge de la douleur. Les procédures d'accréditation des
hôpitaux les intègrent également. La prise en charge de la
douleur de l'enfant nécessite des modifications profondes de notre
culture soignante ; il faut désapprendre des conceptions erronées
qui ont longtemps validé l'abstention thérapeutique antalgique.
Ces changements impliquent la collaboration effective de tous les
acteurs de la chaîne soignante : de l'auxiliaire de puériculture
à l'agence régionale d'hospitalisation. Sans cette vigilance et
ces efforts, les bonnes pratiques resteront lettre morte...
Daniel
Annequin
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